Projection-débat SIGNER, le 13 décembre 2018, cinéma Le Métrople, Lille.
Annie Risler - Université de Lille

Merci Nurith pour ce beau film, Je suis très touchée, par ce film, en tant que linguiste. Je mène des recherches depuis plus de 20 ans sur les langues signées, et ce film qu’on vient de voir fait totalement écho à l’objet même de mes travaux.
Si vous me le permettez je voudrais revenir rapidement sur deux points : les langues et les mots.
Il est déjà très difficile d’expliquer à quoi s’intéresse le linguiste, c’est encore plus ardu quand on travaille sur des langues signées.
Le film de Nurith l’explique très simplement. Apparemment facilement. Mais pourquoi ? parce qu’à travers les images, il nous parle de langues et de mots. D’abord, il me semble que son parti pris est de montrer qu’une LANGUE, c’est avant tout quelquechose qui unit les membres d’un groupe, qui se transmet, qui vit, qui évolue et qui témoigne d’un vécu collectif et d’habitudes culturelles.
La situation des langues étudiées en Israel est très emblématique, elle sert admirablement ce propos :
- avec d’une part une langue des signes dite communautaire, celle de la communauté des sourds, l’ISL, qui s’est forgée à partir des langues des signes des arrivants : d’Allemagne, d’Algérie, du Maroc.
- et d’autre part des langues des signes dites villageoises, qui ont émergé, circulent et unissent une petite communauté de sourds et d’entendants.
J’apprécie particulièrement ce symbole, de la langue qui rassemble, et ce de façon très naturelle, évidente, au-delà de quelque clivage que ce soit.
Le parallèle fait par la petite fille avec la situation des autres familles, avec une langue de la maison et une langue de l’école, rappelle que les langues signées s’inscrivent dans l’intimité, aussi bien que dans le collectif, au même titre que les autres langues. Et qu’elles ne sont pas uniquement les langues des sourds.
Et ce discours, si évident encore une fois, n’est généralement pas celui qui est porté en France, où tout est fait pour opposer langue des signes et langue vocale. Alors, pour cela, merci !
Le deuxième point sur lequel je voudrais dire deux mots, c’est justement ce terme même de ‘MOTS’.
Car dans les commentaires de Nurith, il n’est jamais question de signes mais toujours des MOTS de la langue des signes. J’ai été bien attentive, et le terme de ‘signes’ n’est utilisé que dans la traduction des propos des personnes interrogées.
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Il est bien question au début de ‘signer des mots’ de 11 langues des signes, ou pour l’exprimer autrement, de dire avec les mots de ces 11 langues des signes.
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A travers les propos de Gal, l’interprète, on voit bien en quoi il est bien différent d’apprendre des mots, et d’apprendre à parler une langue.Ce qui le remplissait de joie, c’était d’attraper des mots, des signifiants. Ce n’était pas de ‘manier des signes’ avec le sens qu’on donne ordinairement à ce mot quand on parle de ‘faire signe’, ou ‘faire un geste qui a du sens’. Non, il s’est d’abord approprié des mots, des signifiants. Et il a fallu qu’il rencontre des sourds, ensuite, des alter-ego, pour apprendre à parler cette langue qui lui est transmise, pour l’incorporer, pour s’y projeter.
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Il en este même, pour les comédiens. A travers leur pratique poétique et théâtrale, ils se livrent à des jeux sur les mots. Ils jouent avec les signifiants qui s’inscrivent dans leur corps. C’est encore une fois une tout autre dimension de la fonction poétique de la langue qui nous est montrée que celle à laquelle nous sommes habitués ici. Car le jeu corporel n’est pas envisagé comme une manière de ‘jouer à être’, mais comme le lieu de l’inscription de cette trace, qu’est le mot et la combinaison des mots. Nurith clôt ce voyage en nous disant : « Des mouvements précis tracent dans l’espace une langue, une langue des signes ». Tout est dit !
Je voudrais pour terminer rendre hommage moi aussi à Irit Meir, à laquelle est dédié ce film, qui est la linguiste de langues signées dont les travaux comptent le plus pour moi. Je l’avais invitée à présenter ses travaux à Lille en 2006, et n’ai cessé de suivre ses écrits, dans lesquels elle a mieux que tous les autres linguistes des langues signées à mon sens, réussi à aller au- delà de la matérialité du geste et du corps pour toucher à l’inscription symbolique dans l’espace et son organisation.