1897 : les frères Lumière envoient leur opérateur de vues et inventeur du travelling, Alexandre Promio, filmer le trajet du train qui relie Jaffa à Tel-Aviv. La même année, Theodor Herzl tient un congrès à Bâle qui donne le coup d’envoi au sionisme ; il n’imagine pas, alors, que l’hébreu deviendra la langue du pays qui naîtra cinquante ans plus tard.

Dans une mise en scène soignée à l’extrême, que certains qualifieraient de minimaliste mais qui est en réalité très stylisée, l’ancienne chef-opératrice de Gitaï, Varda et Doillon fait parler ceux qui, au quotidien, jouent avec la langue et l’interrogent. Ils sont treize, essayistes et poètes, chanteurs, plasticiens et journalistes, à tenter de mettre des mots sur le rapport intime au verbe.

Roy Greenwald, poète, souligne la complexité d’une "langue à la fois maternelle – celle de la petite enfance – et paternelle – celle de Dieu, le père". Etgar Keret, romancier et réalisateur, met en avant la difficulté d’appréhender une langue "congelée pendant deux mille ans". Pour Haïm Gouri, l’hébreu est avant tout "la base de la renaissance nationale" et Ronit Matalon est satisfaite de constater que cette "pièce de musée" devient une langue vivante et vécue. Une langue dans laquelle, aujourd’hui, "on insulte et on baise", nous rappelle l’écrivain Yitzhak Laor.

Les témoignages et les expériences se succèdent comme autant de stations dans le monde de l’hébreu. Chacun de ces témoignages est entrecoupé d’un travelling filmé de la fenêtre du train qui relie Jérusalem, ancienne et sacrée, à Tel-Aviv, moderne et profane. Le travelling, bien sûr, s’effectue de droite à gauche : c’est ainsi que s’écrit l’hébreu.

Les paysages évoluent au fur et à mesure que l’on avance dans le trajet. Les monts bruts de la ville sainte font peu à peu place à de plus en plus de signes de modernité : grands poteaux électriques, usines fumantes et baraques blanches. Tout le film est construit sur cette même direction : de l’originel vers l’humain.

L’hébreu était une langue morte il y a seulement cent cinquante ans ; aujourd’hui, la voilà en pleine renaissance.
Langue orientale ressuscitée par les Occidentaux qui ont émigré au XXe siècle.
Langue de la Bible et langue du quotidien.
Langue en construction permanente, mais figée dans l’histoire.
Le film de Nurith Aviv est un ouvrage rare qui montre que l’hébreu est non pas la langue de toutes les contradictions mais celle de toutes les cohabitations : du rêve religieux à la réalité politique.

Langue sacrée, langue parlée est un document exigeant envers ses spectateurs. Mais avec un sujet difficile et dont on a d’abord peur d’être exclu, la réalisatrice a réussi la gageure de construire un film fluide, rythmé et rond.

Langue sacrée, langue parlée
Titre original : Leshon kodesh sfat chol
Réalisation : Nurith Aviv
Scénario : Nurith Aviv
Musique : Martin Wheeler
Interprétation : Haïm Gouri, Michal Govrin, Victoria Hanna, Ronit Matalon, Roy Greenwald, Etgar Keret, Yitzhak Laor, Shimon Adaf, Haviva Pedaya, Yehuda Ovadaya-Fetaya, Zali Gurevitch, Michal Naaman, Orly Castel-Bloom
Pays : France, Israël
Genre : Documentaire
Durée : 1h 13mn
Date de sortie : 04 juin 2008
Année de production : 2008
Distribution : Les films d’ici, Velvet productions, KTO, Noga-Channel 8
Images © Nurith Aviv
Site officiel

Pour aller plus loin
Une rétrospective de Nurith Aviv aura lieu en septembre
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