PRESSE / PRESS

Catherine Humblot - Télévision Radio Multimédia

"Perte -titre original :Vaters Land-, diffusé après minuit, est un bijou d'intelligence signé Nurith Aviv. la réalisatrice, dont les parents et grands-parents sont originaires de Berlin et Prague, part de la définition de Freud sur le deuil et d'une interview de Hannah Arendt pour interroger des amis allemands sur ce que le pays a perdu avec la disparition des juifs. Le meilleur de sa culture…La redécouverte de ce fait après des années de silence est racontée par eux dans le métro de Berlin. Un voyage intérieur tandis que les paysages défilent. Son, tension : réminiscences. La rigueur est bouleversante."

 

"Broadcast after midnight, Loss (its original title is Vaters Land) is a gem signed by Nurith Aviv, whose parents and grandparents are native to Prague and Berlin, and who is the director of this exceptionally intelligent film. She starts off from Freud's definition of mourning and from an interview with Hannah Arendt, and questions her German friends about what it is that the country lost along with the disappearance of Jews. The best of its culture… They speak of the rediscovery of that fact, after years of silence, while traveling in the metro in Berlin.The internal journey is accompanied by the sight of landscapes passing by. Sound, tension, recollections, governed by a deeply moving rigor."

Nicolas Delesalle -

"Perte est un petit joyau d'intelligence, un film court, ciselé, où le verbe dispute à l'image son pouvoir d'évocation. Trente minutes. C'est le temps que Arte a donné à Nurith Aviv pour réaliser un document sur le deuil. Thème et format imposé, mais forme libre. A partir d'un texte de Sigmund Freud ("Le deuil est la réaction à la perte d'une personne aimée ou d'une entité abstraite ayant pris sa place comme la patrie, la liberté, un idéal..."), la réalisatrice a choisi d'évoquer le deuil à travers la disparition de la culture juive dans le paysage intellectuel allemand. Un angle extraordinaire, jamais exploré à la télé à notre connaissance. Jusque sous la République de Weimar, la rigueur prussienne et la fantaisie et l'imagination de la pensée juive se sont fécondées mutuellement, donnant à l'humanité quelques-uns de ses plus grands penseurs, de Kafka à Benjamin, d'Einstein à Freud. Après, c'est le vide. Nurith Aviv est allée recueillir les réflexions et les sentiments de quatre de ses amis berlinois nés après la guerre. Scientifique, acteur, psychanalyste, écrivain, tous décrivent le même abîme, la perte de tout un pan de leur culture, tous font part de leur volonté farouche de faire resurgir ce qui a été enfoui. Ils apparaissent et disparaissent tout au long d'un plan séquence de trente minutes tourné dans le métro aérien de Berlin, comme autant de fantômes à la recherche d'une nouvelle incarnation, d'une identité à reconstruire. A partie d'une oeuvre de commande censée combler un trou de trente minutes dans une programmation, Nurith Aviv est parvenue à extraire la substantifique moelle du deuil abstrait évoqué par Freud. Chapeau bas."

 

"Loss is a gem brimming with intelligence, a short chiselled film, where word and image vie for evocative power.
Thirty minutes is all the time Arte granted Nurith Aviv to produce a document about mourning. Theme and format are imposed, but the form is free. Starting off from a text by Sigmund Freud ("mourning is the reaction to the loss of a loved one, or of an abstraction replacing this loved one"), the director chose to evoke mourning through the disappearance of Jewish culture from the German intellectual landscape. Hers is an extraordinary angle, to our knowledge never before explored on television. Up until, and including, the Weimar Republic, Prussian rigor and Jewish imagination enriched each other, giving the world some of its greater thinkers, from Kafka to Benjamin, Einstein to Freud. After that, nothing.
Nurith Aviv collects the thoughts and feelings of four of her Berlin friends, all born after the war. A scientist, an actor, a psychoanalyst, a writer, all describe the same void, the loss of a significant part of their culture, and they all convey a fierce determination to bring to light what has been buried away.
These four people appear and disappear during a thirty minutes long shot, in the elevated train crossing Berlin, like ghosts searching for some new incarnation, attempting to reconstruct some form of identity.
From a work made to order, meant to fill a thirty minutes spot, Nurith Aviv manages to extract the essence of the mourning of an abstraction evoked by Freud. Hats off!"

Jean-Marie Durand - Les Inrockuptibles

"[…] Une forme cinématographique que Nurith Aviv, elle, invente dans son documentaire, Perte. Obsédée par la question de la transmission -d'une histoire, d'une mémoire, d'une culture, d'une génération à une autre-, la cinéaste s'intéresse ici au deuil comme vide, disparition d'un idéal. En l'occurrence celui ressenti par la génération d'intellectuels allemands nés juste après la guerre, confrontés à la terrible histoire de leur patrie. Une patrie qui se retrouve en 1945 sans pères, "morts à la guerre, humiliés, muets, amers". En interrogeant quatre amis allemands sur leur propre histoire et sur leur manière d'assumer un passé dont ils sont les héritiers malgré eux, Nurith Aviv fouille les gravats de l'histoire allemande, entrelacée avec l'histoire du peuple juif. Chacun de ces intellectuels dut s'inventer, dans les années 60, de nouveaux pères symboliques tels que Freud, Benjamin, Arendt, Kafka, Adorno, Marcuse. Auteurs qui, d'une façon ou d'une autre, ont en commun de parler de l'exil et du sentiment d'exclusion. Filmés en plans serrés, tandis que derrière eux défilent des images prises d'un train traversant Berlin, les paroles recueillies se fondent dans le paysages d'une ville -d'un monde- en reconstruction (des grues ne cessent d'apparaître en arrière-plan). Correspondance entre un discours et un décor, pour rappeler une forme de l'expérience du deuil: sa propre possibilité de dépassement et d'ouverture à un autre monde, repeuplé après l'abandon."

 

"[…]A cinematographical form that Nurith Aviv, on the other hand, invents for her documentary Loss. Obsessed with the question of transmission -of a history, a memory, a culture, from one generation to another--, the director here takes up the concept of mourning as void, as the disappearance of an ideal. To wit, that void experienced by the generation of German intellectuals born right after the war, confronted to the terrible history of their fatherland. A fatherland which, in 1945, finds itself without fathers: "dead at war, humiliated, silent, bitter". Questioning four of her German friends about their own history, and about the way in which they take on (ou "assume") a past which they unwillingly inherited, Nurith Aviv searches through the rubble of a German history deeply intertwined with that of the Jewish people. Each one of these intellectuals, in the sixties, had to create for himself new symbolic fathers: Freud, Benjamin, Arendt, Kafka, Adorno, Marcuse, these authors all sharing, in one way or another, their concern with exile and exclusion.
The speakers [they n'a pas de clair antécédant] are filmed in plans serrés (je ne connais pas le terme anglais), while behind them images stream by, seen through the windows of a train crossing Berlin. The words that are gathered merge with the landscape of a city -of a world-in the process of reconstruction (cranes are continuously seen in the background). A discourse and a setting correspond closely, and bring to mind an aspect of the mourning experience: its capacity to go beyond itself, and to give way to another world, once again inhabited after its desertion."

 

Anne BRUNSWIC, « Images documentaires » n°47 , « Diasporiques » n°26

Berlin, pour la réalisatrice Nurith Aviv est une patrie perdue. Le pays des pères (Vaters Land), au sens littéral puisqu’elle fut la terre natale de ses père, grand-père, arrière-grand-père… Née en Israël, elle filme dans l’ancienne capitale de la Prusse et du Reich pour accomplir un travail de deuil. Un double deuil même comme le suggère l’épigraphe empruntée à Sigmund Freud. Deuil de ses parents restés, malgré la persécution et l’exil, pétris de langue et de culture allemande. Deuil aussi de cette patrie meurtrière où elle n’a pas grandi. En avant-propos, une autre citation : dans une vidéo de 1964, Hannah Arendt, exilée depuis 1933, rappelle avec amertume comment l’intelligentsia allemande lâcha les juifs.

Pour évoquer ce qu’elle a perdu, Nurith Aviv a choisi la figure du miroir : «Perte» s’attache à dire ce que l’Allemagne a perdu en se privant des juifs, ce que la physique, la philosophie, la psychanalyse, la littérature allemandes ont perdu. Quatre amis, intellectuels allemands non-juifs, le disent, chacun à leur manière, à partir du champ qui est le leur. Ils ont grandi dans une Allemagne à la fois dénazifiée et déjudaïsée, un pays amnésique, coupé de son histoire et de ses racines ; un pays où les pères s’étaient murés dans le silence. Ils racontent aussi les rencontres décisives qui leur ont permis d’apprendre quelque chose de la composante juive de leur culture et de réparer les dégâts causés par cette amputation brutale.

Ces témoignages et réflexions sont passionnants pour qui s’intéresse à l’histoire de la culture allemande au XXe siècle. Ainsi le physicien Gustav Obermaier évoque la complète décadence de la physique à Götingen après le départ des juifs. Cet « âge d’or » atteint du temps de la République de Weimar, on le doit, selon lui, au dialogue exceptionnel entre la tradition prussienne incarnée par Max Planck et l’esprit juif personnifié par Einstein. C’est en travaillant dans des universités américaines qu’Obermaier a pu nouer des liens avec des physiciens juifs et comprendre cette forme d’esprit particulière, selon lui si féconde, cet humour qui consiste à se demander si la vérité ne serait pas, par hasard, aux antipodes de la direction poursuivie.

Nurith Aviv impose un dispositif de mise en scène radical : les témoins sont tous cadrés et éclairés de manière identique et l’image des interviewés s’incruste dans un long plan séquence pris par la fenêtre du S-Bahn de Berlin (métro de surface). Les stations, les rames, les voyageurs, les paysages urbains défilent. On traverse la ville sans jamais y entrer, derrière la vitre. Crainte de réveiller les « fantômes étrangement vivants » dont parle un des témoins amis ? Celui de Walter Benjamin traverse le film. Et tant d’autres, irrémédiablement perdus.

Au bout d’une demi-heure, le métro s’arrête, fin du travelling ; la voix off ajoute alors un sens supplémentaire à ce dispositif. « Ma mère est morte à Tel Aviv il y a quelques années. Elle prononça ses dernières paroles en allemand : Terminus, je veux descendre».
Interrogée sur l’origine de ce projet, la réalisatrice nous a donné d’autres indications précieuses : « Ce film, prévu pour une soirée théma d’Arte sur le deuil, devait durer 30 minutes. J’ai tout de suite pensé au nombre 30 qui, dans la tradition juive, renvoie aux trente jours de deuil. Et j’ai choisi un parcours de métro qui dure exactement 30 minutes, de Est Kreuz à West Kreuz, (de la Croix de l’Est à celle de l’Ouest)».

« Perte » est un film dense, complexe, où les deuils se répondent, où les pertes sont, sinon symétriques, du moins partagées. Les juifs allemands ont perdu infiniment mais l’Allemagne aussi a perdu une part essentielle d’elle-même. Ce message, Nurith Aviv ne l’adresse-t-elle pas mezza-voce à ses compatriotes israéliens dont beaucoup, aujourd’hui, sous le nom de « transfert », rêvent d’expulser définitivement la composante arabe de leur nation.

For the film director Nurith Aviv, Berlin is a lost homeland, the land of the fathers (Vaters land), in the literal sense since it was the native land of her father, grandfather, great-grandfather…Born in Israel, Nurith Aviv shoots her film in the former capital of Prussia and the Reich to accomplish a labor of mourning. Double mourning even, as the epigraph from Freud suggests. Mourning for her parents who, despite persecution and exile, remained shaped by German language and culture. Mourning also for that murderous homeland where she did not grow up. In a foreword, another quotation: in a video dating back to 1964, Hannah Arendt, who went into exile in 1933, bitterly recalls how the German intelligentsia abandoned its Jews.

To evoke what she lost, Nurith Aviv chooses the figure of the mirror: “Loss” assigns itself the task of saying what it is that Germany forfeited by doing without Jews, what physics, philosophy, psychoanalysis, German literature did lose. Four friends, German non Jewish intellectuals, tell the story, each in his or her own way, from the perspective of their own field. They grew up in a Germany both denazified and dejudaized, a country struck with amnesia, cut off from its history and its roots; a country where fathers hid behind a wall of silence. They also tell of the significant encounters which allowed them to learn something of the Jewish component of their culture and to repair the harm caused by this brutal amputation.

These testimonies and reflections are fascinationg for whomever takes an interest in the history of German culture in the XXth century. Thus the physicist Gustav Obermaier evokes the downfall of physics in Göttingen after the Jews left. The “golden age” achieved at the time of the Weimar Republic is due, according to him, to the exceptional dialogue between a Prussian tradition, represented by Max Planck, and the Jewish spirit personified by Einstein. While working in American universities, Obermaier was able to establish ties with Jewish physicists and understand the peculiar form of mind, the so rich according to him, which consists in wondering whether truth wouldn’t by chance find itself at the opposite pole of the direction one follows.

Nurith Aviv uses a radical setting device: the witnesses are all framed and lit in the same manner and the image of those interviewed is laid in a long plan séquence shot from the window of the S-Bahn in Berlin (elevated metro). Stations, cars, travellers, urban landscapes all pass by one’s eyes. One crosses the city behind a window, without ever entering it. Is it for fear of waking up those “ghosts, strangely alive” that one of her friends speaks of? Walter Benjamin’s ghost crosses the film, as do so many others, irrevocably lost.

After a half hour, the metro stops, end of travelling: a voice off adds yet another meaning to this device. “My mother died in Tel Aviv a few years ago. She uttered her last words in German: Terminus, I want to get off.”

When questioned about the origin of the project, the director gives us some other precious information: “This film, intended for a soirée théma on mourning for Arte, was to last thirty minutes. I immediately thought of the number thirty which, in the Jewish tradition, recalls the thirty days allotted for mourning. And I chose a metro journey which lasts exactly thirty minutes, from East Kreuz to West Kreuz.”

“Loss” is a rich and complex film where different kinds of mournings echo off each other, where losses, while not symmetrical, are shared. German Jews lost enormously but Germany also lost an essential part of itself. Is this not a mezza voce message addressed by Nurith Aviv to her countryfolk in Israel, where many today dream of permanently expelling the Arabic component of her nation under the guise of “transfer”?

Entretien avec Nurith Aviv
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